extrait de
extrait de "Conversations avec Georges Béranger" année 2007
Vous me dites que vous avez eu une enfance heureuse cependant, si je suis bien renseigné, vous avez eu la polio à neuf mois... Vous êtes bien renseigné, mais la polio n‘empêche rien. J‘ai d‘excellents souvenirs de mon enfance. Je vivais dans une famille attentive et aimante, avec deux sœurs et deux frères.
Vous étiez l'aîné ? Non, le quatrième. Mes parents avaient eu deux filles et un garçon avant moi. Puis est venu un autre garçon. Nous logions dans une petite maison d‘une cinquantaine de mètres carrés bien assise sur un modeste jardin fleuri où se côtoyaient une belle variété d‘arbres et d‘arbustes fruitiers. C‘était agréable pour l‘enfant que j‘étais. Quand bien même la polio. J‘ai d‘ailleurs eu de la chance, cette maladie aurait pu handicaper mon corps beaucoup plus. Cela ne m‘a pas empêché de vivre ma vie d'enfant. Je crois pouvoir dire que j‘ai été heureux jusqu‘à treize ans.
Jusqu‘à treize ans ? Oui,j'ai moins apprécié mon quotidien à l'adolescence. J‘aurais aimé que cela se passe plus simplement. Et plus rapidement. Ce ne fut pas du tout le cas. J‘ai le souvenir d‘une période d‘incompréhension, de tristesse. L‘impression d‘une lutte continuelle pour essayer d'entrer dans un monde que je ne comprenais pas.
L‘adolescence devrait être fêtée dans la joie. Les tambours devraient battre pour ce fabuleux changement de vie.
Il existe deux périodes importantes, pour permettre à l‘être humain de se construire. Les sept premières années de vie, puis l‘adolescence. Sept autres années de transformations profondes, physiquement bien sûr mais aussi psychologiquement et socialement. Ces deux périodes de vie demandent beaucoup d‘attention et d‘amour. L‘adolescent a besoin d‘être accompagné posément, sans violence ni moquerie. Entrer dans le monde adulte demande d‘en comprendre les règles.
Mais, les prétendus adultes que nous sommes ont-ils réellement compris ces règles ? Je n'en suis pas certain.
Si cela était, notre monde ne serait pas devenu si complexe, si individualiste, si déshumanisé, si pollué. Où est le respect, base incontournable de toute vie humaine, animale, végétale et même minérale ? Qu‘offrons-nous aux jeunes comme perspective d‘avenir ? Comment vont-ils pouvoir se réaliser demain ? Ne me croyez pas pessimiste. Au contraire. Je crois que de nombreuses pistes s‘offrent à eux, car il y a un immense boulot à faire pour sortir de ce monde englué dans son inconscience et dans son ego. Nos pays riches semblent ne pas comprendre ce qui se passe. Nos sociétés vont être obligées de se métamorphoser rapidement et nous paraissons ne rien voir. C‘est une véritable révolution économique et environnementale qui doit se mettre en marche. Il y a urgence. Sommes-nous prêts ? Je l‘espère mais je doute. Une autre approche des relations humaines et sociales doit voir le jour. Les jeunes ont tout à réinventer. Cela peut être fabuleux pour eux, quand bien même les embûches et les peurs multiples. Ils vont devoir exprimer toute leur créativité pour réussir.
Mais, à votre époque tout était différent. Bien sûr ! Nous vivions dans une société qui croyait, naïvement; que la science allait tout régler et offrir le meilleur des mondes à l‘humanité. Il ne faut pas oublier que nous sortions, à peine, d‘une société conventionnelle engoncé dans une morale encore trop rigide, . Nous étions des idéalistes. Inconscients de ce qui se préparait alors que, déjà, certains (une faible minorité) le présageaient.
Revenons à vous... Moi, à l‘époque, je cherchais désespérément à être comme "monsieur tout le monde", persuadé que lui, ce "monsieur tout le monde" connaissait les règles du bonheur. J‘étais naïf alors !
Pourquoi naïf ? Allons ! Essayez donc d‘enfiler les chaussures d‘une autre personne et de vous sentir bien dedans. Ce n‘est guère possible. Trop souvent, cette paire de chaussures s‘est déformée, s‘adaptant aux pieds de son propriétaire. Rares sont ceux qui réussissent à enfiler les chaussures des autres, sans ressentir de la douleur aux pieds. C'est ainsi. Nous avons chacun à trouver notre propre paire de chaussures pour être bien dans nos pompes. Et c‘est là toute la difficulté. Trouver réellement chaussure à son pied, tant affectivement que philosophiquement. Pour vivre bien. En paix avec soi-même. Et là, le chemin s'avère souvent complexe, mais combien enrichissant, épanouissant. Bien sûr, oser prendre ce chemin fait souvent peur. Il est apparemment plus confortable de ne pas bouger. De garder aux pieds ses charentaises. Pourtant, j‘ai comme l‘impression que la vie m‘a obligé à agir. Je me dis que ce doit être pareil pour tout le monde . À vingt ans j'étais un jeune homme mal dans ma peau, triste et angoissé. J‘avais une grande envie de vivre, mais de multiples peurs me paralysaient. C‘est un grave accident de voiture qui est venu "briser" cette carapace de peurs, si je puis dire. J‘avais vingt-deux ans.
Je présume que votre handicap actuel vient de là... Partiellement, oui ! Mais là aussi j‘ai eu de la chance. Cela aurait pu être plus grave. Bref ! Il m‘aura fallu tout de même vingt bonnes années pour me remettre de cet accident. Plusieurs opérations, en un an, perturbent sévèrement le système énergétique. Et rien n‘est fait pour y remédier, l‘acupuncture n‘étant pas reconnue dans les hôpitaux ni les maisons de rééducation. J‘ai rencontré un acupuncteur remarquable, un humaniste, bien des années plus tard. C‘est lui qui m‘a permis de sortir d‘années difficiles à vivre sur les plans physique et psychologique. J‘avais de grandes fatigues qui minaient mon quotidien. Cependant ces années là furent des années de profondes transformations intérieures. Des années très créatives. Entre peinture et sculpture. Je produisais beaucoup. C‘est ce qui m‘a permis de survivre, tant moralement que financièrement.
Jusqu‘à votre rencontre avec votre femme ? Ma rencontre avec Flora, compagne depuis plus d'un quart de siècle, est le plus beau cadeau que m‘ait offert la vie. Quand nous nous sommes rencontrés, j‘ai eu l‘impression d‘une re-naissance. D‘une libération. J‘aime notre tendresse partagée, notre complicité, notre humour, le sens que nous donnons à notre quotidien. J‘aime nos convictions, nos doutes, nos élans, notre souci pour le devenir de notre belle planète. Et puis, j‘aime l‘enfant qui est venue partager notre existence en 2004. Nous nous étions mariés en 2001. Par amour tout simplement. Comme un désir de re-signer ce contrat établi neuf ans plus tôt en tête à tête.
Comment vous êtes-vous rencontrés ? Flora est entrée dans ma vie alors que j‘étais, depuis neuf mois, sans domicile fixe et rmiste. Encore un passage difficile de mon existence, me direz-vous. Oui ! Je m‘étais déjà trouvé dans une situation sociale presque similaire, dix ans plus tôt. Seule une bien belle solidarité familiale et amicale m‘avait alors permis de ne pas me retrouver à la rue. Dix ans plus tard l‘histoire ne se répétait pas tout à fait de la même façon. Il y avait de la solidarité. Mais pas à la même échelle. Ce qui d‘ailleurs m‘a permis de rencontrer Flora.
Vous aviez tout de même eu des relations amoureuses auparavant, j‘espère ? Éphémères ! Jusqu‘alors mes expériences amoureuses ne duraient guère, me laissant plutôt un goût amer. Avec Flora je crois que j‘apprends quotidiennement l‘Amour avec un grand A. Cela ne s‘est pas fait en un jour bien sûr. L‘Amour se bâtit comme on le fait pour une maison. Pierre après pierre. Minutieusement. Patiemment. C‘est dans le vécu, au quotidien, que cela se façonne vraiment. Avec tendresse et savoir-vivre. Avec incompréhension parfois. Avec complicité et humour surtout. Avec joie.
Je viens de terminer votre premier roman. Je ne dévoilerai pas la fin mais, reconnaissez qu‘elle est surprenante. Je ne m‘y attendais pas. Surprenante ? (J.D.M. sourit) J‘espère seulement ne pas avoir de prémonitions. Vous savez, j‘aime la vie. J‘aime la nature humaine avec ses multiples faiblesses et ses grandeurs d‘âme, ses élans de cœur. L‘être humain est capable de déplacer des montagnes quand il le faut. Je nous souhaite d‘en déplacer bien vite, afin de préserver l‘humanité. D‘ailleurs mes héros sont loin d‘être défaitistes. Ils sont "bien en chair" si je puis dire et... mais... laissons le lecteur lire ce roman jusqu‘à la dernière ligne.
Le fait que vous aimez la vie est indéniable. Cela transparaît dans tous les chapitres. L‘existence n‘est pas toujours facile. Il nous arrive de vivre des situations profondément douloureuses, voire même insupportables sur le moment. Pourtant, l‘être humain est plus fort qu‘il ne le croit. Il y a en chacun de nous des forces insoupçonnées qui sommeillent. Dans les moments les plus durs elles agissent, si nous les laissons faire. Si nous acceptons de ne plus être seul, enfermé dans notre souffrance.De ne plus savoir. C‘est peut-être ces forces qui nous font entrevoir de possibles divinités. Je crois que nous sommes tous reliés à une vaste énergie de vie qui, si nous en acceptons la réalité, nous aide à nous dépasser. Oui, j‘aime la vie, même si parfois j‘ai bien du mal à en comprendre le sens final.
C'est la quête de votre héros ? Oui ! Yame est un jeune homme qui veut comprendre le pourquoi du comment. C'est ce qui va l‘obliger à quitter le clan protecteur.
Vos personnages sont tous attachant, même les "méchants" qui ont tout de même un soupçon d‘humanité. N‘y a-t-il pas un peu de vous, en eux tous ? Le roman permet d‘exprimer de multiples facettes de l‘auteur. Je crois qu‘il y a, effectivement, un peu de moi chez tous les personnages qui sont venus se greffer à l‘histoire, au fil du temps. J‘ai tout de même vécu trois ans avec eux. En trois ans, il s‘en passe des choses dans la vie d‘un auteur. Et, ce que je vis personnellement ne peut qu‘influencer, même inconsciemment, ce que j‘écris.
Aviez-vous un thème de prédilection en tête, lorsque vous avez décidé d'écrire ce livre ? Non ! Pour écrire, je me mets à l‘ordinateur et les mots viennent sans vraiment réfléchir. C‘est petit à petit que tout se met en place. Une phrase, un chapitre entier, peuvent disparaître quelques semaines après avoir vu le jour, suivant les événements créés par les héros eux-mêmes. C‘est Robert Merle qui, je crois, disait un jour qu‘il ne dominait pas ses héros, mais que c‘étaient eux qui le guidaient. C‘est exactement ce que je ressens quand j'écris. Il me faut bien sûr reprendre la barre une fois le temps, pour cadrer l‘ensemble, néanmoins j‘ai tendance à laisser faire. Quitte à relire et à effacer ce qui est venu. Il y a certains jours infructueux et d‘autres où le bonheur est là, bien présent...
Pour en revenir à votre question, je crois que ce qui prédomine dans ce roman, c‘est le respect. Respect de la nature et des autres. Respect de la parole donnée et de la différence. Respect dans le couple et la vie de famille, tout autant que dans la vie du clan ou de la nation. Oui ! Le respect... Mais il y a également d‘autres thèmes qui me tiennent à cœur. La quête de sens de Yame et de sa compagne Nevya. La relation des humains au Divin. L‘avenir de l‘humanité. Le pouvoir et la manipulation. L‘immigration. L‘acceptation des handicaps physiques et psychiques.
A quand votre prochain roman ? J‘en ai bien sûr d'autres "sur le feu" et deux que vous trouverez sur mon site.... Mais nous parlions du Sorcier de Terre Infinie. Je suis heureux de le voir édité. C‘est bien. Très bien. Je n‘ai plus qu‘un désir, qu‘il se vende, car un livre vendu est un livre lu. Et n‘est-ce pas le rêve d‘un romancier que d‘être lu. Par le plus grand nombre.